“Il n’y a pas trace de péché originel dans le récit de la Genèse”
✩ (Arkbase)
Interview
Rencontre avec James Kugel, professeur émérite de littérature hébraïque à l’université de Harvard et enseignant à la Bar Ilan University de Jérusalem, à l’occasion de la parution de son livre, ‹La Bible expliquée à mes contemporains›.
propos recueillis par Matthieu Mégevand
Le Monde des religions — 19/5/2011 (giovedì 19 maggio 2011)
• En quoi est-il important de connaître et comprendre la Bible aujourd’hui?
Depuis cent cinquante ans, il y a eu une révolution dans notre connaissance de la Bible. Le monde dans lequel elle a été créée est désormais accessible, grâce à l’archéologie, la philologie sémitique ainsi que toutes les autres sciences appliquées à la Bible.
Le milieu universitaire propose désormais une conception tout à fait nouvelle de ces textes et de leurs significations. J’ai voulu rendre le fruit de ces recherches accessible au travers de mon livre, mais j’ai cherché en même temps à les voir dans une perspective plus large, celle de l’histoire de l’interprétation biblique.
• Le livre porte, dites-vous, sur “l’intelligence de la Bible de deux points de vue radicalement différents, celui des anciens interprètes et celui des biblistes modernes”. Expliquez-nous.
Je crois que le deuxième courant est plus ou moins connu, et la plupart des gens savent qu’il y a eu une révolution quant à l’étude moderne de la Bible. Par contre, la Bible telle qu’elle était lue dans les milieux religieux, soit chrétiens soit juifs, est tout à fait différente. Elle a elle-même été modifiée par un acte de réinterprétation qui s’est opérée dans l’Antiquité, vers la fin de la période biblique.
A dire vrai, cette relecture des textes bibliques (dont une grande partie remontait déjà à plusieurs siècles auparavant) était aussi radicale que celle des chercheurs modernes, et la transformation du sens apparent de ces textes n’était guère moins significative.
•[D·2c]• ±?
Il existait en effet plusieurs écoles d’interprètes, à la fin de la période biblique, entre le IIIe et le Ier siècles avant l’ère chrétienne, dont le but était de modifier le sens évident du texte, en faveur d’une lecture plus actuelle et souvent plus moralisante. Pour ce faire, ils cherchaient partout un sens caché derrière le sens apparent.
L’un des exemples parmi beaucoup d’autres, c’est l’histoire d’Adam et Eve. Tout le monde sait que cette histoire traite du péché originel et de la chute de l’homme. Au début, Adam et Eve étaient censés vivre une vie éternelle et sans péché dans un merveilleux jardin.
Mais le diable, sous la forme d’un serpent, serait venu tenter Eve avec la pomme de l’arbre interdit, et aurait provoqué la chute de ce premier couple d’humains, et depuis, les hommes vivent une vie mortelle et douloureuse. Tout le monde connait cela, pourtant, aucun de ces détails ne figurent dans le récit de la Genèse.
•[D·2f]• ±
Il n’y a pas trace de péché originel, ni de la “chute de l’homme”. Le texte ne parle jamais d’une existence éternelle, il n’y a pas non plus trace de diable, mais seulement d’un serpent parlant. Même la présentation du fruit comme une pomme ne se trouve pas dans le texte. Tous ces détails sont le fait des anciens interprètes, et ils se sont imposés sur le récit biblique et continuent à s’y imposer de nos jours.
L’Ancien Testament est rempli d’exemples similaires: l’interprétation traditionnelle a présenté Abraham comme le premier monothéiste et Jacob comme “Jacob le Juste”, mais un examen scrupuleux de l’Ecriture révèle que ces idées ne proviennent pas du texte écrit. A nouveau, elles sont le fruit des anciens interprètes.
• Comment ces interprétations du texte biblique ont-elles été véhiculées?
Des commentaires bibliques apparaissent déjà dans les manuscrits de la mer Morte et chez Philon d’Alexandrie par exemple. Pourtant, la forme choisie par les anciens interprètes n’est pas celle du commentaire, mais plutôt le choix de raconter d’une nouvelle manière le texte.
Cela fonctionnait au niveau de la phrase, en substituant par exemple un mot actuel à un mot désuet, afin de rendre accessible le texte. Mais cela se passait surtout au niveau du récit. Des choses qui n’étaient pas comprises, dans la Genèse ou l’Exode, étaient racontées avec toute sorte de détails inédits.
•[D·3c]• ±
On trouve cela dans le Livre des Jubilés par exemple, un texte apocryphe rédigé au début du IIe siècle avant l’ère chrétienne, et qui raconte presque tout le livre de la Genèse et une partie de l’Exode avec des détails nouveaux.
Je crois que l’homme qui l’a écrit avait l’intention qu’on l’accepte comme partie intégrante du corpus mosaïque. D’ailleurs, le texte est écrit en imitant de manière très rigoureuse l’hébreu biblique, une langue qui n’était plus d’usage quotidien pour l’auteur et ses lecteurs.
• Comment la recherche biblique moderne et le judaïsme ou le christianisme traditionnel peuvent-ils se concilier?
•[D·4a]• ~
Dans le judaïsme comme dans le catholicisme, l’interprétation biblique a toujours été quelque chose de très traditionnel, et le vrai sens du texte était dans une large mesure celui des anciens interprètes. Les deux religions ont donc résisté aux connaissances modernes, qui dans une grande mesure s’opposaient a [sic!] l’interprétation traditionnelle.
Par contre, le protestantisme était dès le début beaucoup plus positif vis-à-vis la nouvelle connaissance de la Bible; celle-ci leur offrait un argument de poids pour dénigrer l’autorité du pape, et elle entraînait un réexamen des doctrines chrétiennes les plus fondamentales, ce qui était après tout l’un des buts principaux de la Réforme.
Il est vrai que dans les dernières cinquante ou soixante années, le catholicisme et le judaïsme réformé se sont montrés plus ouverts vers cette nouvelle connaissance de la Bible, mais le judaïsme orthodoxe a continué à lui tourner le dos. A mon avis, on ne peut pas ignorer l’existence de ce que l’archéologie, la philologie et les autres disciplines ont pu découvrir à propos de la Bible.
Personne ne veut faire partie d’une religion qui ferme les yeux face à la réalité. Mais en même temps, la substitution de cette nouvelle compréhension archi littérale du texte représente une déformation de ce que la Bible a toujours été. Dès le début, avant même que les dernières parties de l’Ancien Testament aient vu le jour, et bien avant que le canon biblique ait été fixé de façon définitive, on lisait ces textes de la manière autorisée par les anciens interprètes.
La Bible ne se réduisait jamais aux seuls mots sur la page. La chose est tout à fait claire en ce qui concerne le judaïsme. L’idée principale du judaïsme comme religion, c’est que toutes les actions de chaque homme et femme dans la vie quotidienne devraient être adressées à Dieu. Pour ce faire, il existe la Bible, bien sûr, qui sert de guide.
Mais le judaïsme ne se réduit jamais à ce qui est écrit dans le Pentateuque. Il y a des bénédictions, des prières, à réciter, et tous les autres actes -rituels et autres- à faire au long de la journée, en passant par une multitude de prescriptions pour le shabbat, les fêtes, etc. En obéissant à ces lois, en s’y conformant au mieux, on tourne -en théorie tout du moins- son attention vers Dieu.
Pour ce faire, le texte littéral de la Bible n’était qu’un point de départ, et très souvent, il était évident que l’on ne pouvait pas prendre le texte au pied de la lettre. Dans le livre, je donne l’exemple de la fameuse loi du talion, où l’injonction œil pour œil est réinterprétée par les rabbins dans le sens contraire.
Un œil perdu doit être dédommagé, mais en aucun cas vengé par le même acte. On retrouve toujours, dans les interprétations, cette idée que le texte dit ceci, mais qu’en vérité il signifie cela. Et bien souvent entre le texte et son interprétation, de grandes différences se font sentir.
• Existe-t-il un danger à séparer la science biblique moderne, qui permet de contextualiser historiquement, d’une compréhension selon laquelle tout ce qui est écrit doit forcément s’appliquer directement à notre vie d’aujourd’hui?
Ce danger existe surtout en l’absence d’une interprétation traditionnelle, car tout est alors ouvert. On a par exemple vu, surtout après la Réforme protestante, des interprétations justifiant la peine de mort pour la violation du shabbat, ou qui légitimaient l’esclavage par exemple.
A dire vrai, je crois que ce danger peut surgir même dans les milieux de l’interprétation la plus traditionnelle. Quiconque connaît l’histoire de l’interprétation biblique sait, hélas, que les gens ont toujours eu tendance à détourner le sens du texte pour favoriser leur propres idées politiques et autres.
• Est-ce que la science biblique moderne n’a pas tendance à diminuer la force de la Bible pour les lecteurs contemporains?
Si notre texte n’est que le produit d’auteurs et de rédacteurs anonymes, et si ce qu’il raconte est contredit par nos connaissances en histoire, science, etc., comment peut-on continuer à prétendre qu’il s’agisse d’un texte inspiré par Dieu? J’ai coutume de dire que l’inspiration divine, qui, pour les croyants, définit le texte, est la seule chose sur laquelle la recherche moderne n’a rien à dire. Car, en effet, comment pourrait-on distinguer un texte avec ou sans inspiration de Dieu?
Cela n’est évidemment pas possible, et il est tout à fait raisonnable d’accepter l’existence d’éditeurs, de rédacteurs humains, sans abandonner la croyance en l’inspiration divine du texte. Cela signifie que la science biblique n’est pas un danger pour le croyant, puisque l’une et l’autre ne s’occupent pas du texte sur le même plan. Chacun considère le livre, la Bible, à un niveau différent.
Pour aller plus loin
• James Kugel, ‹La Bible expliquée à mes contemporains› (Bayard, 1003 p., 49 euros).
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ANNOTAZIONI E SPUNTI
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COMMENTO — Il testo originale non è purtroppo più reperibile all’indirizzo del sito (indicato in calce) dal quale era stato ricavato; la traduzione in italiano si può trovare al link seguente: https://archividiroccosolina.blogspot.com/p/2011-05-19-tuttigliscandali-megevand.html.
•[D·2c]• «[…] ils cherchaient partout un sens caché derrière le sens apparent»: ma questo è quanto sostiene, ancora modernamente, il biblista Carlo Enzo (e con lui Fabio della Pergola) quando afferma che il testo biblico è un “testo mascherato”, e che la sua interpretazione “canonica” sarebbe in realtà “favolistica e irreale” (si veda ad esempio, di FdP, ‹Dall’impuro al peccaminoso›, § 4.10).
•[D·2f]• «Il n’y a pas trace de péché originel, ni de la “chute de l’homme”»: questa affermazione “forte” è quella che offre lo spunto per il titolo dell’intera intervista; tuttavia costituisce forse anche il punto “debole” dell’intervista stessa, nel senso che lascia il lettore inevitabilmente interdetto e insoddisfatto: se il senso dell’episodio narrato nella Genesi non è quello proposto dagli interpreti tradizionali – nel testo non è esplicitato, ma si tratta praticamente soltanto di quelli cristiani – allora quale sarebbe il suo senso? Perché mai gli estensori del testo biblico pensarono bene di inserire nella Genesi l’episodio della cacciata dall’Eden, e quale sarebbe il suo ruolo nella fantastica storia dell’origine del mondo? Si trattava ad esempio di un episodio che riadattava, rovesciandoli, antichi miti sulla creazione del mondo, egizi o mesopotamici?
NOTA 1: d’altra parte, il professore sembra qui ritenere il testo canonico un rifermento indiscutibile, senza considerare che esso divenne “canonico” solo diversi secoli dopo la sua stesura, e che all’epoca poteva coesistere con molte altre varianti che non ci sono neppure pervenute; oltre ai testi scritti, comunque, pare esistesse anche una ricca tradizione orale, una parte della quale venne messa per iscritto solo successivamente. L’autenticità – e l’affidabilità – di tutte queste fonti è variamente valutabile.
NOTA 2: forse, però, il professore fornisce nelle oltre mille pagine del suo libro risposte adeguate a tutte queste inevitabili domande.
•[D·3c]• «On trouve cela dans le Livre des Jubilés par exemple […]»: né l’intervistatore né l’intervistato sembrano prendere in considerazione l’eventualità che la pratica messa in atto nel Libro dei Giubilei potesse non essere affatto un’eccezione; in un certo senso l’intero ‹corpus› vetero-testamentario è un “apocrifo”, nel senso che non è ciò che pretende di essere; molti ad esempio hanno ritenuto e tuttora sostengono che il Pentateuco sia opera di Mosè, quando ai tempi di Mosè – ammesso che sia veramente esistito – non era ancora stata inventata alcuna scrittura di tipo alfabetico. Del resto, pare già gli antichi sacerdoti egizi fossero esperti nella contraffazione dei documenti, inventandosi ad esempio occasionalmente antiche donazioni per giustificare la proprietà dei templi e dei terreni circostanti.
•[D·4a]• Nel testo originario, «[…] s’opposaient a [sic!] l’interprétation traditionnelle […]»: un refuso ha omesso l’accento sulla ‘a’, trasformando la preposizione nella 3ª persona del verbo “avere”; corretto.
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